vendredi 7 octobre 2011

L'Europe alternative (en fiction)

Ce billet aura toutes les allures d'une recension de trois livres (par deux auteurs) portant sur une thématique similaire. Il cache pourtant l'introduction d'un autre billet, à venir.
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Uchronie
L'uchronie est un sous-genre littéraire qui consiste à installer l'action d'une oeuvre dans une histoire alternative. Bien que par définition, les uchronies soient associées à la science-fiction, la simple présence d'une prémisse uchronique ne signifie pas pour autant que l'auteur fera de sa thématique principale une oeuvre de SF. On peut facilement imaginer des polars ou des histoires romantiques sur fond d'histoire alternative.
J'ai récemment lu trois uchronies basées sur la même prémisse (une prémisse qui n'est pas nouvelle): La victoire de Hitler et de l'Allemagne nazie lors de la seconde guerre mondiale en Europe.
Fatherland
Robert Harris signe, avec Fatherland, un polar politique se déroulant en 1964 dans un Berlin alternatif, capitale du Reich, un empire qui s'étend sur la plus grande partie de l'est de l'Europe continentale. Le roman raconte l'enquête policière menée suite à la découverte du corps d'un vieux politicien retraité.
Mis à part le fait qu'il s'agisse d'un très bon polar, intelligemment construit et mené à un rythme soutenu, ce qui fascine dans le livre de Harris est la construction de son Allemagne alternative en terme de culture politique. En 1964, vingt ans après la fin du conflit, les jeunes sont nés dans un pays où le fascisme est perçu comme la norme sociale. Ce qui nous paraît abominable ou incroyable - et même ce qui paraît étrange aux quadragénaires de ce Berlin - apparaît tout à fait normal pour une grande majorité de la population. Dans le roman, cette culture qui a intégrée les valeurs nazies représente la plus grande victoire de Hitler; car ses idéaux sont devenus la norme, ils ne sont même plus questionnés, à part par quelques personnes qui passent alors pour des fauteurs de troubles ou des hurluberlus.
Farthing
Avec Farthing, Jo Walton signe également un roman dont la prémisse est la victoire nazie, victoire qui est scellée par un traité de paix avec la Grande Bretagne, laissant les îles à celle-ci alors que le Reich conserve l'Europe continentale. Walton propose également un polar politique, mais celui-ci se déroule entièrement en Angleterre. L'opposition entre les conciliants, qui s'enorgueillissent d'avoir apporté la paix, et ceux qui dénoncent toujours le régime nazi sert de toile de fond à une enquête policière sur le meurtre d'un politicien en vue. Les diverses manipulations politiques formant la trame cachée du roman, le lecteur se rend vite compte que cette Angleterre en paix est en train de changer subtilement, sous l'influence du régime et des politiques fascistes du Reich continental. Mis à part la qualité de construction et la finesse d'écriture de Walton, ce qui fascine dans ce roman, c'est ce subtil glissement de la culture politique, l'intégration dans les valeurs communes de certains traits fascistes qui deviennent alors acceptables. Au point où ceux qui sonnent l'alarme avant qu'il ne soit trop tard sont déjà vus comme des fauteurs de troubles ou des hurluberlus.
Ha'Penny
Dans cette suite immédiate de Farthing, Jo Walton poursuit son exploration de la politique britannique, alors que les manipulations d'opinion publiques forment la toile de fond d'une autre enquête policière; l'explosion à Londres d'une bombe tuant deux personnes dont une actrice célèbre. Les tenants de la ligne dure qui prônent les mesures drastiques pour assurer la sécurité des anglais contre les juifs, terroristes et communistes ne se cachent plus; leurs méthodes et les informations transmises à la population font en sorte qu'ils gagnent la faveur populaire malgré un net recul de la démocratie et de la libre opinion.
Mis à part le fait que Walton signe ici un autre roman très bien écrit et intelligemment construit, ce qui fascine dans ce roman est cette lente glissade de l'opinion publique, manipulée par ce qui s'apparente à une dictature, qui fait que les actions antidémocratiques et fascistes deviennent acceptables, sinon naturelles avec le temps. Au moment où on parle de la création d'une police spéciale pour surveiller les communistes, juifs, homosexuels et autres ennemis de l'état - police qui s'apparente à la Gestapo nazie - aucun mouvement populaire ne vient contrer les plans du pouvoir en place. L'influence du régime de Hitler sur l'Angleterre, supposément libre, l'emporte. Les agissements et l'idéologie du Reich, qui étaient décriés autrefois, deviennent d'abord acceptés à distance, puis acceptables localement, pour devenir, ultimement, la norme sociale, même en Grande Bretagne.
Intermède - vers la réalité
Si je vous parle de ces trois romans aujourd'hui, c'est évidemment parce qu'il s'agit de bons livres. C'est aussi parce qu'ils partagent cette thématique, ainsi que leur prémisse. Mais c'est surtout parce que leur lecture fait réaliser de manière extrêmement crédible, comment un changement de valeurs peut être habilement imposé à toute une population, pour peur qu'elle se laisse manipuler.
Ainsi, vous aurez compris que la répétition de mon propos n'est pas accidentel, évidemment. Les deux auteurs font preuve avec ces romans d'une finesse politique qui, appliquée à certains régimes actuels, ferait froid dans le dos. En fait, si la chose peut passer pour de simples oeuvres de fiction littéraire, c'est qu'elles se passent dans un monde qui n'existe pas, un univers alternatif, ce qui a un effet apaisant. Ouf, nous ne vivons pas dans un tel monde, que le lecteur peut se dire.
Sauf que...
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à suivre

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